Le bulletin du CNE
n°21 - juin 1996
CONTRIBUTION DU COMITE NATIONAL D'EVALUATION
AUX ETATS GENERAUX DE L'UNIVERSITE
0 - Introduction
I - Transmettre le savoir
II - L'orientation
III - Le statut de l'étudiant à l'université
IV - La voie technologique
V - L'insertion professionnelle
VI - La recherche
VII - L'ouverture internationale
VIII - Les personnels
IX - La gestion de l'université
X- L'aménagement du territoire
INTRODUCTION
Le Comité national d'évaluation a remis au Président
de la République, en juillet 1995, son rapport intitulé "Évolution
des universités, dynamique de l'évaluation - 1985-1995".
Sur la base de ce texte, qui fait le point sur les principales questions
qui se posent à l'enseignement supérieur français aujourd'hui,
le Comité national d'évaluation rappelle quelques principes
essentiels :
- l'adaptation nécessaire de l'enseignement supérieur doit
être le chantier prioritaire des dix prochaines années ;
- l'enseignement supérieur est caractérisé par la relation
permanente entre la transmission du savoir et son renouvellement, qui repose
sur l'activité de recherche ;
- la vocation de l'enseignement supérieur est de répondre
aux attentes et aux besoins de formation du plus grand nombre de ceux qui
sont en mesure de recevoir cette formation. Il faut dire clairement que
les enseignements universitaires sont difficiles et exigeants ;
- ayant opté pour une formation universitaire de la majorité
des étudiants fondée sur le principe d'orientation plutôt
que sur celui de sélection, notre pays se doit d'assortir ce principe
de modalités réalistes et respectueuses de l'intérêt
général.
Un rééquilibrage cohérent de l'ensemble du système
de répartition des bacheliers entre les diverses composantes de l'enseignement
post-secondaire est nécessaire. Le principe de la liberté
de choix consiste à garantir à chaque bachelier, compte tenu
de ses acquis antérieurs, de ses capacités et de ses motivations,
des chances sérieuses de réussir ses études supérieures
et de trouver sa voie.
I - TRANSMETTRE LE SAVOIR
Les universités constituent un des lieux où s'élaborent
les savoirs et où, en même temps, les savoirs doivent être
transmis. L'actuelle structure des universités décompose la
transmission des savoirs en trois étapes successives, découpées
en trois cycles.
Le premier cycle : l'accroissement du flux d'entrée des bacheliers
à l'université, qui a triplé de 1970 à 1995,
a transformé l'enseignement supérieur en un instrument de
formation de masse et le taux de succès est, dans l'ensemble, resté
insuffisant.
Cette première étape constitue un passage obligé du
secondaire au supérieur. Quelques rappels s'imposent :
- le niveau des études universitaires est élevé et
doit rester élevé, et le baccalauréat ne garantit pas
le succès ;
- les dernières années du lycée doivent participer
à l'acquisition des méthodes de travail dans l'apprentissage
du savoir plus que dans l'accumulation du savoir ;
- un rééquilibrage cohérent de l'ensemble du système
de répartition des bacheliers entre les diverses composantes de l'enseignement
post-secondaire doit être conduit ;
- une information et une orientation préalables, cette dernière
ne pouvant être dépourvue de contrainte, sont indispensables
;
- il faut mettre d'avantage l'accent sur les exigences d'une filière
vis-à-vis des capacités de l'étudiant que sur l'attrait
de cette filière, mais aussi bien informer les étudiants des
débouchés prévisibles ;
- des passerelles et des possibilités de réorientation sont
nécessaires. La formation continue doit devenir une règle
et une des responsabilités de l'enseignement afin d'y préparer
les futurs diplômés et d'offrir à chacun, tout au long
de sa vie professionnelle, des voies de retour dans le système éducatif
;
- enfin, il faut que les professeurs assurent un réel investissement
dans l'enseignement de premier cycle et que les établissements mettent
en place une évaluation interne de l'enseignement.
Si les premiers cycles ont comme préoccupation essentielle de donner
des formations de base dans le savoir et des méthodes d'apprentissage,
avec déjà une certaine spécialisation du savoir, ils
demeurent l'étape obligée pour entrer dans les deuxièmes
cycles, où les diplômes doivent avoir une valeur de qualification.
Les deuxièmes cycles se sont, ces dernières années,
démultipliés et, parfois dans un souci louable de professionnalisation,
spécialisés à l'excès : une meilleure lisibilité
de l'architecture des formations est souhaitable, tant pour les étudiants
que pour le monde économique.
Les troisièmes cycles concernent l'année préparatoire
à la poursuite des recherches de Doctorat (DEA) ou l'année
de spécialisation nécessaire à l'entrée dans
la vie professionnelle (DESS). On doit souhaiter leur développement
et leur renforcement, ainsi qu'une introduction plus prononcée, dans
ces formations, de l'ouverture sur la vie de l'entreprise et la vie sociale.
II - L'ORIENTATION
Dans son rapport sur "L'enseignement supérieur de masse"
remis au Président de la République en juillet 1990, le Comité
national d'évaluation consacrait deux chapitres au problème
de l'orientation (chapitre II : Mieux s'orienter pour mieux réussir
dans l'enseignement supérieur ; chapitre III : Pour une vraie politique
de l'orientation). Il affirmait avec force que "l'orientation est la
priorité des priorités".
Il est important de rappeler que l'enseignement post-secondaire est très
complexe et qu'il comprend de nombreuses filières.
Dès la possession de l'un des baccalauréats (plus de cent,
toutes options comprises) qui sanctionnent la fin des études secondaires,
les jeunes bacheliers ont à choisir une filière. Un tel choix
doit être préparé, ainsi que ceux qui jalonneront le
parcours qu'aura à accomplir l'étudiant.
- Il semble essentiel de redéfinir et de mettre en oeuvre une véritable
politique globale de l'orientation, qui doit s'élaborer dès
l'entrée en première année du second cycle des lycées.
Cette démarche doit être menée dans la cohérence
et la continuité, et ne peut être de la seule responsabilité
des conseillers d'orientation, mais doit mobiliser la collaboration active
de tous les enseignants, du collège à l'université.
- Le déficit d'information, de motivation, voire d'espérance,
de certains étudiants invite à développer la coordination
entre les lycées et les universités (relations suivies entre
enseignants du secondaire et du supérieur, compréhension plus
grande des contenus de formation, des exigences formulées, de la
méthodologie requise).
- Il est souhaitable de rééquilibrer les flux de bacheliers
technologiques et généraux dans l'ensemble des formations
post-baccalauréat, courtes et longues.
- Il faut faciliter, tout au long du cheminement de l'étudiant, la
possibilité de se réorienter, et pour cela, prévoir
les passerelles nécessaires ;
- Le baccalauréat demeure le passeport pour l'enseignement supérieur.
Il ne saurait, à lui seul, être le garant d'une judicieuse
répartition des étudiants entre les filières et à
l'intérieur de celles-ci : d'où l'idée d'aménager,
à l'entrée dans l'enseignement supérieur, un palier
de détermination individualisé, qui permettrait d'amener les
étudiants vers les études ou les formations qu'ils sont capables
de réussir.
III - LA VIE DE L'ÉTUDIANT
Le CNE, à travers ses différents travaux, s'est préoccupé
des conditions de travail et de vie des étudiants, sujets sur lesquels
le CNOUS et les CROUS sont des interlocuteurs essentiels.
S'il est vrai que, dans certaines universités, les étudiants
se situent véritablement au centre de la problématique de
l'organisation et du fonctionnement de l'établissement, il faut bien
reconnaître que, dans d'autres établissements, d'importants
progrès restent à faire dans cette voie. Un suivi systématique
du cheminement des cohortes au sein de l'appareil universitaire, puis une
étude de l'insertion professionnelle (voire, plus largement, de l'utilisation
ultérieure des connaissances acquises) sont les instruments indispensables
pour mesurer l'efficacité des enseignements.
S'agissant des conditions de travail des étudiants, l'organisation
des enseignements et des volumes horaires devrait mieux prendre en compte
la formation générale des étudiants en leur permettant
des approches pluridisciplinaires, et en leur ménageant la possibilité
de pratiquer des activités sportives et culturelles, éventuellement
intégrées aux cursus. De même, l'ouverture de lieux
de travail accessibles aux étudiants devrait être plus systématique.
Les bibliothèques sont l'instrument indispensable de toute formation
et, pour les littéraires, pour les étudiants en sciences humaines
et sociales, l'équivalent du laboratoire. Leur remise à niveau,
leurs extensions sont vitales. Elles doivent aussi s'adapter aux besoins
et aux possibilités des étudiants, notamment en ce qui concerne
leurs horaires d'ouverture.
L'organisation des enseignements devrait reposer sur une présence
suffisante des professeurs dans le premier cycle. Il faut développer,
à ce stade, le tutorat encadré par des enseignants, et favoriser
une plus grande proximité entre étudiants et enseignants.
Par ailleurs, la lisibilité des cursus et des modalités de
contrôle des connaissances doit être renforcée.
Concernant les conditions de vie des étudiants, en matière
de logement, de restauration et de transport, les universités auraient
avantage à renforcer, notamment par la voie contractuelle, leurs
relations tant avec les CROUS qu'avec les collectivités locales compétentes,
notamment les municipalités.
La surveillance médicale, la prévention sanitaire, le soutien
psychologique aux personnes en difficulté sont trop mal assurés.
Des solutions innovantes doivent être recherchées par les universités
et l'État, en partenariat avec les hôpitaux, les mutuelles.
Comme l'a souligné à plusieurs reprises la Conférence
des présidents d'université, il appartient à la collectivité
de répartir de façon plus efficace l'aide sociale aux étudiants.
IV- LA VOIE TECHNOLOGIQUE
La technologie, ensemble de savoirs et de pratiques fondé sur des
principes scientifiques dans le domaine technique, est partout présente
dans le monde complexe d'aujourd'hui. Celui qui n'a pas de culture technologique
risque donc progressivement d'être partiellement exclu. La culture
technologique est partie intégrante de la culture.
La voie technologique doit avoir la même dignité que les autres
voies de l'enseignement supérieur : sciences exactes, humaines, juridiques,
économiques...
La voie technologique est actuellement présentée comme, d'une
part, un ensemble de formations universitaires professionnalisées
(IUT, STS, MST, IUP, DESS, Magistères, Ecoles internes...) avec des
passerelles permettant des poursuites d'études, d'autre part, un
ensemble d'écoles (d'ingénieurs, de commerce...) trop souvent
très spécialisées, qui coexistent avec les formations
universitaires. L'émiettement des formations et leur taille le plus
souvent "sous-critique" font que leur visibilité n'est
pas bonne, d'autant que chaque formation a tendance à s'isoler et
à rechercher une indépendance vis-à-vis de l'Université.
La voie technologique doit au contraire être présentée
comme une filière longue de l'après-baccalauréat jusqu'au
doctorat. L'intérêt de la filière est, d'une part, de
pouvoir en sortir avec un diplôme permettant d'exercer un vrai métier
à différents niveaux bien identifiés et reconnus, d'autre
part, de pouvoir y revenir par la voie de la formation permanente, pour
franchir des étapes nécessaires à une évolution
de carrière.
Il conviendra de veiller à ce que les composantes universitaires
concernées ne cherchent pas à accroître leur indépendance
mais, au contraire, à ce qu'elles comprennent tout l'intérêt
de se développer au sein d'universités de taille suffisante
pour y trouver des possibilités d'orientation et de choix, ainsi
que la nécessaire complémentarité et une réelle
synergie avec les autres voies de l'enseignement supérieur général.
Cette situation permettra notamment d'éviter la confusion, trop souvent
faite et très restrictive, entre voie technologique et enseignement
technique ou professionnel.
Les cursus technologiques, comme les cursus scientifiques au sens large
du terme, ne peuvent connaître un développement au niveau requis
pour le contexte international, que si la conjugaison enseignement - recherche
est bien établie et bien réussie.
V - L'INSERTION PROFESSIONNELLE
L'accroissement considérable du nombre de diplômés de
l'université a déjà, et aura plus encore dans les prochaines
années, des conséquences sur l'insertion professionnelle.
Quelle que soit la conjoncture économique, il faut s'attendre à
une diversification croissante des trajectoires, certains diplômés
étant conduits à accepter, en tout cas en début de
carrière, des emplois plus modestes que dans le passé.
La possibilité d'anticiper sur les besoins de l'économie est
un exercice incertain et ne peut servir de base à une régulation
d'ensemble de l'enseignement supérieur : le système de formation
doit faire acquérir aux individus des qualités de flexibilité
et d'adaptation multiples qui sont de plus en plus nécessaires au
cours de la vie professionnelle ; il doit aussi développer considérablement
l'offre de formation continue.
Un développement de l'information sur le devenir des diplômés
et sur les modalités de leur insertion professionnelle est nécessaire,
tant pour les étudiants que pour adapter et faire évoluer
les formations. Il exige des différents acteurs qui en ont la charge
une coordination étroite, mais aussi une grande rigueur scientifique
: c'est un domaine où les initiatives parcellaires, insuffisamment
préparées, peuvent conduire à des erreurs et à
des gaspillages.
Les préoccupations sur les débouchés sont présentes
dans toutes les universités, mais de manière inégale.
Certaines filières acceptent tous les étudiants qui s'y sont
inscrits librement et incarnent la mission la plus traditionnelle de l'université
: "apprendre à apprendre", dans un champ disciplinaire
défini à partir de référentiels purement scientifiques.
Dès lors, le besoin d'information sur le devenir professionnel est
faible. En revanche, dans les filières professionnalisées
qui se sont développées très fortement ces dernières
années, les enseignants ont besoin d'être à l'écoute
des milieux professionnels pour faire évoluer le contenu des formations
et les adapter aux évolutions du marché. Dans la plupart des
universités, qui, en France, sont généralement pluridisciplinaires,
les deux voies coexistent, et souvent le poids respectif des étudiants
dans chacune des filières ne conduit pas à donner une large
place aux préoccupations d'insertion professionnelle, tout au moins
au niveau de l'institution.
VI - LA RECHERCHE
L'accord est général pour reconnaître qu'il n'y a pas
de bon enseignement supérieur sans une bonne recherche universitaire
concomitante. L'objectif est donc double : assurer les conditions d'une
recherche de qualité dans l'université et promouvoir des filières
de formation qui, à tous les niveaux, soient capables de valoriser
ou d'illustrer les méthodes et acquis de cette recherche.
Bien que trop souvent focalisée par les grands organismes, la recherche
universitaire s'est fortement développée au cours des deux
dernières décennies, et a conduit à l'émergence
de centres de niveau international, tant par leur taille que par leur excellence.
Les centres universitaires où se forment des jeunes chercheurs constituent
des pôles diffusant une recherche de qualité, ayant vocation
à irriguer l'ensemble du tissu scientifique, et à promouvoir
un enseignement fondamental et appliqué adapté aux évolutions
technologiques les plus modernes.
On peut considérer que la situation de la plupart des universités
françaises, comparée à celle des universités
d'autres pays européens, est relativement satisfaisante .
La politique de contractualisation progressive de la recherche universitaire
est maintenant bien engagée. On doit insister sur son rôle
très positif, car elle assure des bases saines d'évaluation
comparative, de coordination thématique, de coopération rationnelle.
L'utilisation du "bonus qualité recherche" est un levier
insuffisant pour affirmer une politique universitaire de la recherche. Le
rôle des conseils scientifiques des universités est, à
cet égard, trop inégal dans l'exercice de leur mission.
Une réflexion approfondie s'avère ici encore nécessaire.
Elle devra prendre en compte une situation paradoxale : la nécessité
d'une répartition raisonnée des efforts financiers et le respect
de la créativité individuelle des chercheurs, particulièrement
dans le secteur des sciences sociales et humaines, au sein duquel les travaux
ne s'effectuent pas obligatoirement dans les laboratoires où les
moyens sont concentrés sur des objectifs collectifs.
L'impératif de l'excellence pour la science commande une politique
sélective de regroupement par centre de compétences et une
certaine proximité avec certains sites industriels et universitaires.
Il faut intégrer, dans la réflexion stratégique sur
la recherche, la dimension européenne et la dimension internationale
qui constituent un cadre naturel pour la recherche.
Au sein d'universités nouvellement créées, compte tenu
des situations de départ, des pesanteurs et limitations existantes,
la recherche devra se développer sous deux conditions principales
:
- assigner aux activités de recherche des "créneaux"
précis et bien ciblés de spécialisation, en veillant
à leur donner les moyens indispensables ;
- mettre ces formations universitaires naissantes en réseau avec
les structures existantes à l'échelon régional et/ou
national.
Le vieillissement de la population des chercheurs et des enseignants-chercheurs,
et bien souvent des autres personnels, montre l'acuité d'un grand
défi à relever. Il y a une nécessité absolue
à prendre en compte de façon permanente le problème
de la gestion des emplois scientifiques et techniques, dans leur diversité.
Il faut établir un plan annuel fondé sur des projections à
dix ans pour permettre le renouvellement régulier des effectifs.
La mobilité des chercheurs (en particulier les possibilités
de passage ou d'échange entre les organismes de recherche et les
universités) s'impose pour assurer un meilleur fonctionnement du
dispositif de recherche publique, et pour assurer la diffusion des connaissances
au sein de la société. La circulation des connaissances représente
un impératif pour favoriser l'interdisciplinarité et l'excellence,
développer l'innovation, dissiper les inquiétudes et réduire
les inégalités.
L'information scientifique et technique doit faire partie de la formation
générale reçue par les jeunes de notre pays et doit
être relayée par les principaux médias. Des moyens importants
doivent être dégagés en bibliothèques, médiathèques
et réseaux de communication.
VII - L'OUVERTURE INTERNATIONALE
Le Comité national d'évaluation a toujours analysé
avec soins les relations internationales des universités : chaque
rapport d'évaluation leur consacre un chapitre. Dès juin 1991,
dans le rapport qu'il adressait au président de la République,
le chapitre III concernait les relations internationales des universités.
Sur cette base, le CNE formule les recommandations suivantes :
L'Europe des universités, et plus généralement l'ouverture
de l'enseignement supérieur français à l'ensemble du
monde, exige une politique volontariste d'accueil grâce à une
information dynamique, rationnelle et coordonnée, dont les données
soient aisément accessibles.
Le développement des programmes d'échange dans le cadre de
l'Union Européenne est bénéfique : cependant, il faut
veiller à réunir les conditions matérielles nécessaires
à leur bon déroulement.
Une meilleure prise en compte de la réalité des échanges
est nécessaire. Celle-ci peut se faire dans le cadre d'un recensement
annuel, par établissement, par discipline et par cycle, des étudiants
et enseignants étrangers accueillis dans tous les établissements
publics, mais aussi des partenariats entre les établissements.
Le régime des bourses d'État accordées aux étudiants
étrangers accueillis en France, ainsi qu'aux étudiants français
accueillis à l'étranger, doit être revu.
Il faut encourager les universités à multiplier les "cursus
intégrés" et les diplômes conjoints, à favoriser
l'organisation modulaire des cursus pour accroître les échanges
internationaux d'étudiants, à utiliser au mieux les formules
de tutorat pour aider les étudiants étrangers, et aussi à
intégrer des programmes conjoints de recherche.
Pour encourager les universités à conclure des conventions
d'échanges et de coopération permettant notamment de délivrer
des diplômes conjoints, le ministère de l'Éducation
nationale devrait prendre en charge, à parité avec l'Université,
les dépenses d'exécution des conventions qu'il aura approuvées
; les centres régionaux des oeuvres universitaires pourraient co-signer
ces conventions en s'engageant à faciliter l'hébergement des
étudiants étrangers.
Pour favoriser l'activité d'enseignement et de recherche à
l'étranger des professeurs et maîtres de conférences
français, l'accroissement de la dotation en congés sabbatiques
à finalité internationale est souhaitable.
Pour encourager la venue d'enseignants étrangers dans les universités,
l'on pourrait :
- affecter à celles-ci la totalité des supports budgétaires
des professeurs associés étrangers, en excluant toute autre
utilisation ;
- faciliter les nominations d'un même professeur étranger partageant
son temps de séjour entre plusieurs établissements, avec un
plafond fixé à douze mois, non renouvelable ;
- utiliser pleinement l'opportunité des séjours fractionnés
afin de multiplier les possibilités d'invitation ;
- augmenter le nombre global des emplois réservés aux enseignants
étrangers associés ou invités.
Chaque université doit définir et organiser efficacement sa
politique de relations internationales. Cela passe entre autres par :
- l'élaboration d'une politique claire et la définition de
priorités ;
- la désignation par le président de l'université d'un
"délégué aux relations internationales" associé
à l'équipe présidentielle et dirigeant une cellule
administrative spécialisée dans ce domaine ;
- la présentation annuelle, aux différents conseils, d'un
rapport général sur les relations internationales de l'université
et de chacune de ses composantes ;
- l'information des étudiants, des collectivités locales et
des entreprises, ainsi que des universités étrangères,
sur toutes les possibilités d'échanges internationaux offertes
par l'université, et plus globalement par le site universitaire auquel
elle appartient.
VIII - LES PERSONNELS
Les enseignants
Le renouvellement et le rajeunissement du corps enseignant, ainsi que la
régulation des recrutements, rendent nécessaire une politique
contractuelle qui, grâce à une programmation pluriannuelle,
permet à l'établissement d'avoir une gestion prévisionnelle
des emplois.
Pour promouvoir des candidatures de qualité, il faut veiller à
ce que la filière "allocation-monitorat-ATER" ne conduise
pas à un pré-recrutement automatique, système dont
les disciplines tirent un profit inégal.
Le système des primes constitue une mesure positive, mais la prime
pédagogique ne tient pas compte de la qualité du travail et
de la disponibilité, de l'attention consacrée aux étudiants
: il conviendrait de laisser une plus grande responsabilité aux établissements
dans l'attribution de cette prime.
Pour prévenir le risque d'abaissement de la qualité des recrutements,
le Comité considère que, s'il appartient aux établissements
de définir leur politique de recrutement, en termes de qualité
et de champ de spécialisation, il incombe au Ministère d'instaurer
une limitation quantitative des listes de qualifications ; seul le CNU doit
rester garant du maintien des critères de qualification à
un niveau élevé.
Si le recrutement des enseignants-chercheurs doit continuer à reposer
sur des critères largement fondés sur la recherche, l'avancement
de leur carrière doit pouvoir se faire selon des critères
plus diversifiés, qui tiennent compte de la variété
croissante des fonctions des enseignants du supérieur, celles-ci
étant justifiées par des rapports d'activité détaillés,
et validés par les instances locales.
Les IATOS
Les IATOS sont des acteurs essentiels de la communauté universitaire,
mais les modes de gestion des emplois et des personnes apparaissent de moins
en moins compatibles, d'une part, avec l'autonomie des établissements,
et d'autre part, avec la nécessité de moderniser le service
public. Là encore, c'est par une action conjuguée des pouvoirs
publics et des établissements que leur intégration au fonctionnement
des établissements et leur contribution aux activités de formation
et de recherche seront mieux assurées et reconnues.
L'État doit poursuivre les efforts déjà entrepris pour
déconcentrer la gestion des agents à statut national, ce qui
suppose non seulement une simplification des règles applicables au
recrutement, aux mutations et à la gestion des carrières,
mais aussi une réduction du nombre des corps. En outre, il faut remédier
aux conséquences néfastes de la multiplicité des statuts
qui régissent les corps des IATOS.
Les universités doivent avoir la possibilité, au moins à
titre expérimental, de globaliser les dotations budgétaires
afférentes aux primes, et de disposer ainsi d'un système d'indemnités
qu'elles répartissent en fonction de la manière de servir
des agents.
Les établissements doivent aussi s'attacher à développer
l'action sociale pour l'ensemble de leurs personnels : ceci suppose un effort
financier conjoint du Ministère et des établissements.
Les conseils et les présidents des universités ne peuvent
tenir pour secondaire et acceptable le laxisme qui demeure parfois en matière
de respect des obligations de service ; gage trompeur d'une coûteuse
paix sociale, cette situation sert, en effet, d'argument commode et bienvenu
pour refuser de renforcer des effectifs, pourtant structurellement insuffisants.
IX - LA GESTION DE L'UNIVERSITÉ
Le gouvernement des universités est progressivement apparu comme
un problème majeur, du double point de vue technique et politique
: comment gérer et comment conduire le développement d'organismes
complexes, dont la population peut atteindre la taille d'une ville moyenne
?
Pour être réellement efficace, le gouvernement doit être
exercé par un président, une équipe présidentielle
et des conseils à même de soulever les problèmes de
fond, de détecter les anomalies et d'obtenir des réponses
à leurs interrogations. L'exercice du gouvernement de tels ensembles
complexes est facilité dès lors qu'une équipe soudée
et partageant les mêmes objectifs assure la responsabilité
du pilotage de l'établissement : en ce sens, il faudrait que le président
puisse réellement choisir son secrétaire général
et que le statut des secrétaires généraux soit révisé
pour permettre de diversifier leur recrutement, d'améliorer leur
carrière et d'aménager leur mobilité. La cohérence
de l'équipe en charge du gouvernement de l'université est
l'une des conditions de la mise en oeuvre d'une véritable politique
d'établissement.
Le gouvernement de l'établissement doit pouvoir s'appuyer sur des
services centraux de qualité : pour ce faire, l'organisation de ces
services, ainsi que la qualification et la formation des agents qui leur
sont affectés, doivent faire l'objet d'une attention particulière.
Pour acquérir une véritable capacité d'arbitrage, le
gouvernement des universités doit voir sa compétence s'étendre
à tout leur territoire scientifique, administratif et financier,
sans exclusive. Pour cela, il est nécessaire que les établissements
aient une connaissance fine de l'ensemble des moyens dont disposent leurs
composantes ou leurs laboratoires de recherche, et qu'ils choississent le
statut le mieux adapté pour les structures en charge de la valorisation
de leurs recherches dans le milieu industriel.
Le gouvernement de l'université doit pouvoir tirer de la comptabilité
de l'établissement des informations assez fiables pour le guider
: ceci suppose que les universités aient une connaissance rapide
et permanente des crédits dont elles disposent réellement,
ainsi que de leur situation patrimoniale, qu'elles pratiquent l'amortissement,
qu'elles soient informées du coût de leurs activités.
Les établissements doivent aussi mettre en place un système
de collecte de données et d'informations, et construire ainsi l'outil
statistique indispensable à leur pilotage.
Cette information quantifiée est une condition de la réactivation
de la politique contractuelle : ceci constitue une autre nécessité,
dans la mesure où cette démarche permet à l'université
de définir les stratégies et les actions à moyen terme
qui structurent son projet. Le développement du partenariat contractuel
entre collectivités territoriales et établissement s'inscrit
dans la même perspective d'anticipation.
Enfin, l'État peut aider à une meilleure gestion des universités
par la simplification et l'amélioration de la réglementation
et des procédures auxquelles sont soumis les établissements,
notamment en matière de structures, de gestion comptable et financière,
ou encore dans le domaine de la sécurité.
X - AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Dans son dernier rapport au Président de la République, le
CNE a observé que l'université - et plus largement les établissements
d'enseignement supérieur - est désormais l'objet d'enjeux
et de sollicitations multiples.
Si la carte universitaire doit certainement tenir compte de la politique
d'aménagement du territoire, les universités ne sont pas pour
autant, à elles seules, un facteur d'aménagement du territoire.
L'expérience des dernières décennies prouve que, s'il
est un domaine où la prévision exige le long terme, c'est
bien celui du développement, ou de la création et de l'implantation
d'établissements d'enseignement supérieur à caractère
scientifique, culturel et professionnel.
Le CNE a souligné, dans son rapport sur les universités nouvelles,
que l'établissement d'une carte universitaire doit impérativement
tenir compte de plusieurs facteurs.
L'enseignement universitaire est caractérisé par la relation
permanente entre la transmission du savoir et son renouvellement, qui repose
sur l'activité de recherche. Cela implique des moyens de toute nature,
incompatibles avec une dispersion des établissements.
Si la mission de service public impliquant l'accueil de tous les étudiants
peut induire une logique de proximité pour la transmission du savoir,
la création d'une masse critique en termes de recherche ne se décrète
pas. L'extrême difficulté des essais volontaristes de délocalisation
est attestée, en de nombreux cas, tant par la persistance de graves
déséquilibres entre premiers et troisièmes cycles,
au détriment de ces derniers, que par les difficultés rencontrées
pour stabiliser les équipes d'enseignants-chercheurs. Des installations
de qualité fournies par les collectivités et les bonnes volontés
ne suffisent pas à éviter le danger de secondarisation ; les
meilleures conditions matérielles offertes aux étudiants et
les atouts que représente le rapprochement de l'usager et de l'institution
ne compensent pas l'absence de bibliothèques et de laboratoires.
On pourrait être tenté de disjoindre, dans l'établissement
de cette carte universitaire, les premiers cycles des enseignements des
deuxièmes et troisièmes cycles. Comme l'a souligné
la Conférence des présidents d'université, ce serait
là couper définitivement le premier cycle du reste des enseignements
supérieurs, ce qui n'est souhaitable ni pour l'un, ni pour les autres.
Les deuxièmes cycles ne peuvent non plus être disséminés
: leur qualité est fonction de la réunion des compétences
des enseignants-chercheurs, des équipements scientifiques, des laboratoires
et équipes de recherche sur lesquels ils s'appuient.
S'il existe certes des "politiques de site", et si les enjeux
territoriaux de l'enseignement supérieur sont évidents, la
complexité de l'institution universitaire ne permet pas, sauf au
prix d'infinies précautions, d'en faire l'instrument magique d'un
développement nouveau du territoire.
XI - L'ÉVALUATION
Les établissements d'enseignement supérieur sont soumis à
de multiples formes d'évaluation :
- évaluation scientifique des laboratoires et équipes de recherche,
conduites par la Mission scientifique et technique, le Centre national de
la recherche scientifique, les grands organismes ;
- évaluation des projets de diplômes, en vue de leur habilitation
par le Ministère ;
- évaluation institutionnelle, portant sur la globalité de
l'activité de l'établissement, conduite par le Comité
national d'évaluation.
L'évaluation est l'outil indispensable à l'université
pour renforcer son autonomie en mesurant ses forces et faiblesses, pour
déterminer ses orientations et définir ses projets de toute
nature. Le CNE a constaté que l'évaluation interne des établissements,
par eux-mêmes, était très insuffisamment développée
en France.
L'appréciation des étudiants sur la pédagogie, les
contenus de leurs enseignements est très exceptionnelle, alors que
cette pratique est courante dans les pays anglo-saxons.
Il en va de même pour les conseils scientifiques, lorsqu'ils sont
appelés à se prononcer sur l'activité des équipes
de recherche : ils font trop peu souvent appel à des méthodologies
assurées, et à des avis externes.
Les audits visant à améliorer l'organisation interne des services
ou la gestion des ressources humaines sont également rares, alors
que la communauté universitaire en recèle les compétences.
C'est dans le souci d'aider les établissements à développer
leur évaluation interne, nécessité avivée par
l'établissement de contrats avec l'État, mais aussi avec les
collectivités territoriales, les entreprises, les établissements
étrangers, que le CNE a désormais infléchi ses méthodes
de travail : il fournit un cadre méthodologique, des instruments
de mesure, pour que chaque université, qui va être l'objet
d'une évaluation nouvelle, la prépare par une évaluation
interne, conduisant à l'élaboration d'un rapport sous la responsabilité
de son président.
Le CNE invite aussi les établissements à disposer d'une information
précise, à élaborer des tableaux de bord efficaces,
à être les acteurs, et non pas l'objet passif, de l'évaluation.
La dimension et la complexité croissante des institutions d'enseignement
supérieur, leur internationalisation, la demande croissante de la
nation à leur égard, rendent indispensables non seulement
la poursuite, mais l'amplification de ce travail commun, interactif, et
qui, pour être efficace, doit conduire à un accroissement de
la fréquence des évaluations.
Le Comité national d'évaluation estime qu'il est nécessaire
de multiplier les évaluations portant sur les disciplines, et d'approfondir
sa réflexion sur les problèmes touchant à l'institution
universitaire.
Il situe aussi son action dans le cadre international, par une participation
soutenue à la réflexion sur l'accréditation et sur
l'évaluation institutionnelle, qui se développe dans tous
les pays soucieux de se doter des instruments de connaissance et de pilotage
des enseignements supérieurs.